Journées Européennes
du Patrimoine 2013

"100 ans de protection"

Heureux l'homme occupé ...

Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin,
Qui, tel qu'un voyageur qui part de grand matin,
Se réveille, l'esprit rempli de rêverie,
Et, dès l'aube du jour, se met à lire et prie !
A mesure qu'il lit, le jour vient lentement
Et se fait dans son âme ainsi qu'au firmament.
Il voit distinctement, à cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et d'autres en lui-même ;
Tout dort dans la maison; il est seul, il le croit ;
Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre.

Victor HUGO, 1802-1885



La joie en la vie

Oh ces larges beaux jours dont les matins flamboient !
La terre ardente et fière est plus superbe encor
Et la vie éveillée est d'un parfum si fort
Que tout l'être s'en grise et bondit vers la joie.

Soyez remerciés, mes yeux,
D'être restés si clairs, sous mon front déjà vieux,
Pour voir au loin bouger et vibrer la lumière ;
Et vous, mes mains, de tressaillir dans le soleil ;
Et vous, mes doigts, de vous dorer aux fruits vermeils
Pendus au long du mur, près des roses trémières.

Soyez remercié, mon corps,
D'être ferme, rapide, et frémissant encor
Au toucher des vents prompts ou des brises profondes ;
Et vous, mon torse droit et mes larges poumons,
De respirer, au long des mers ou sur les monts,
L'air radieux et vif qui baigne et mord les mondes,

Oh ces matins de fête et de calme beauté !
Roses dont la rosée orne les purs, visages,
Oiseaux venus vers nous, comme de blancs présages,
Jardins d'ombre massive ou de frêle clarté !

Quand vous frôlez mon front, roses des jardins clairs,
De vrais baisers de flamme illuminent ma chair ;
Tout m'est caresse, ardeur, beauté, frisson, folie,
Je suis ivre du monde et je me multiplie
Si fort en tout ce qui rayonne et m'éblouit
Que mon coeur en défaille et se délivre en cris.

Oh ces bonds de ferveur, profonds, puissants et tendres
Comme si quelque aile immense te soulevait,
Si tu les as sentis vers l'infini te tendre,
Homme, ne te plains pas, même en des temps mauvais ;
Quel que soit le malheur qui te prenne pour proie,
Dis-toi, qu'un jour, en un suprême instant,
Tu as goûté quand même, à coeur battant,
La douce et formidable joie,
Et que ton âme, hallucinant tes yeux
Jusqu'à mêler ton être aux forces unanimes,
Pendant ce jour unique et cette heure sublime,
T'a fait semblable aux Dieux.

Emile VERHAEREN, 1855-1916